Paul Eluard disait « il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous ». J’avais possiblement rendez-vous avec ce roman. Bien assez pour être un énorme *** coup de coeur ***, bien assez pour le lire d’un coup, bien assez pour prendre quelques jours de recul avant de le chroniquer. Il s’agit de Pas assez pour faire une femme de Jeanne Benameur, qui vient de paraître aux éditions Thierry Magnier. Judith a 17 ans et le bac en poche. Début des années 70, la porte de l’université s’ouvre à elle, mais aussi les portes de la liberté, de la connaissance, de la conscience politique et de l’Amour. Toutes ces inconnues prennent le visage d’un homme. Le tourbillon post 68 l’emporte vers son propre épanouissement. Découvrir les grands penseurs engagés, trouver du plaisir à prendre la parole en public, s’échapper du carcan parental, apprivoiser son corps et celui de l’autre, exorciser les démons de l’enfance. Le désir inonde son corps et son esprit. Judith grandit, Judith découvre, Judith devient. Comment ne pas penser à Simone de Beauvoir et sa juste formule « on ne naît pas femme, on le devient » ? Car il s’agit là d’un roman sur le devenir, sur ce passage bouleversant à l’âge adulte. Si l’auteure avoue avoir mis plus de 10 ans à l’écrire, il ne s’agit pas d’une autobiographie. C’est une fiction. Et surtout de la littérature : celle qui émeut, qui questionne, qui fait réfléchir. Les livres y tiennent une place particulière. Judith y entre avec délice et inscrit son histoire dans cette Histoire. Construire ainsi sa pensée l’aide à devenir. Lire Hannah Arendt lui apprend le sens du mot lutte. Car c’est aussi une histoire de lutte : lutte contre le confort petit bourgeois, lutte contre les inégalités, lutte pour l’égalité homme-femme, lutte contre le père tyrannique. Lutte entre ce qu’elle est, ce qu’elle ose être, ce qu’elle devient. C’est l’histoire d’une tension intérieure. Tension intériorisée. Issue d’une famille où le père règne en tyran, la mère est soumise, une grande soeur qui subit. Les non-dits s’accumulent et l’excluent elle qui n’est « pas assez grande pour comprendre ». De là naîtront des cauchemars. Seul l’amour transcendera son rapport à l’intime et à son corps.Dans cette chambre, où le roman prend vie, Judith va devenir une femme amoureuse. Elle découvre l’amour physique. Elle se dévoile, hésitante, perdue et éperdue, repoussant doucement l’enfance. Elle découvre la liberté, elle qui avait tant besoin de respirer. Ode à la sensualité et à la féminité. Bercée par les chansons de Janis Joplin qu’elle adore et qui lui donne cette impression grisante « d’emporter toute sa rage toute sa détresse, très haut. Loin. Elle chante tout ce qui à l’intérieur n’arrive ni à se dire ni à se crier ». Ce roman puissant et intimiste est une ode à la liberté. Jusque dans le style, l’auteure se joue des codes de la ponctuation. L’absence répétée de virgule crée un rythme et nous invite à suivre les pensées, parfois confuses, de Judith, s’inscrivant dans la confidence. On devine à la fin du roman que Judith est toujours en devenir, et le titre prend alors toute son ampleur. Ce roman m’a particulièrement touchée et me conforte dans l’idée que la littérature adolescente est une grande. Merci Madame Benameur. Retrouvez l’avis de Sophie.
Pas assez pour faire une femme
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Superbe billet… j’ai très envie de le lire !
merci, j’espère qu’il te plaira !
quoi dire de plus ? Je n’arrive pas encore à trouver les mots sur cette lecture et là…ton billet est juste très juste. Je retrouve toute l’émotion que ce roman m’a procurée. Du coup, vais devoir attendre encore un peu avant d’en parler…:) Merci à toi.
merci Pépita… Difficile d’écrire une chronique à la hauteur de l’émotion ressentie…